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Montrer patte blanche pour acquérir un animal : chronique d’une catastrophe annoncée ?


Fin mars 2022, la Ministre wallonne du bien-être animal annonçait que dès le 1er juillet, toute personne souhaitant adopter ou acheter un animal de compagnie en Wallonie devrait préalablement se procurer une attestation prouvant qu’elle n’est pas déchue de ses droits de détention d’un animal. Une décision qui, à présent que la date approche, fait l’effet d’un bombe… à retardement.

Le permis de détention d’un animal n’est pas une idée neuve. Il a été instauré en 2019 via le Code wallon du bien-être animal, et publié dans le décret relatif à la « délinquance environnementale ». [1] Le principe était – et est toujours – que tout le monde le possède « par défaut » tant qu’il n’est pas déchu de ses droits, par décision judiciaire, suite à des actes de maltraitance. Problème : si une base de données des personnes interdites de détention existe bel et bien, les refuges et animaleries n’y ont pas accès. Il leur était donc jusque présent impossible de vérifier si l’adoptant ou l’acheteur n’est pas déchu de ses droits. Le bénéfice de ce permis était donc réduit à néant.

Le nouveau décret (détails pratiques ici) poursuit 2 objectifs : permettre aux refuges et animaleries de procéder à cette vérification d’une part, éviter les adoptions et achats impulsifs d’autre part, selon la Ministre. Voilà des déclarations qui méritent une petite analyse…

Permettre aux refuges et animaleries de vérifier

En obligeant les adoptants ou acheteurs à se procurer et présenter une attestation, la Ministre estime apporter une réponse à cette lacune. C’est vrai, mais c’est un pis-aller…

Il est certain qu’avoir une base de données non consultable par les principaux intéressés était un non-sens. Néanmoins, le retrait de permis est tellement rare qu’il ne concerne qu’une poignée de personnes dans toute la Wallonie. On va donc ennuyer 100% des gens pour cette poignée. Voilà une belle balance bénéfices/risques bien déséquilibrée !

Est-ce à dire qu’il est certain que l’animal sera bien traité chez tous les autres ? Bien sûr que non ! D’une part parce qu’on ne peut rien savoir d’une personne qui acquiert son premier animal, d’autre part parce que de nombreuses situations sont inconnues ou non poursuivies.

Gageons qu’en instaurant cette obligation, la ministre pallie plutôt à un frein légal nommé RGPD, qui empêche les privés travaillant en refuge ou animalerie d’accéder aux données personnelles des personnes déchues.

Il devait y avoir moyen de contourner cette limitation autrement qu’en obligeant l’entièreté de la population à une démarche coûteuse en temps, parfois compliquée lorsque l’administration communale n’ouvre pas en dehors des horaires de travail, et éventuellement payante selon le bon vouloir de chaque commune. Le RGPD prévoit une notion d’« intérêt légitime » qui aurait sans doute pu être justifié ici. C’est finalement assez proche de la réglementation qui permet aux prêteurs (banques, sociétés de crédit, etc.) d’accéder à nos données enregistrées par la Centrale des crédits aux particuliers. On notera d’ailleurs, non sans ironie, que lors de la campagne de vaccination contre la covid-19 et l’instauration du pass sanitaire, nos autorités se sont montrées beaucoup plus créatives – ou moins regardantes – à la transmission de données santé, pourtant réputées sensibles aux yeux du RGPD…

Eviter les adoptions et achats impulsifs

C’est clair : la précipitation est mauvaise conseillère. Un animal est un être vivant, avec ses émotions, sa sensibilité, ses repères d’attachement. Adopter un animal est quelque peu différent que d’acheter d’une paire de godasses sur votre e-shop préféré : ce doit être un acte responsable qui mérite le temps de la réflexion, de se renseigner correctement sur les besoins éthologiques de l’animal et de bien prendre la mesure des contraintes qu’ils impliquent.

Mais à cet égard, il convient de distinguer une adoption en refuge ou un achat en animalerie.

L’adoption en refuge

Adopter en refuge est déjà toute une démarche en soi. Le choix-même de se tourner vers une telle association témoigne d’un état d’esprit qui plaide en faveur de l’adoptant. Est-ce suffisant ? Faut-il pour autant lui octroyer un blanc-seing ? Non, bien entendu.

Mais les refuges travaillent dans la protection animale, pas dans une démarche commerciale. Les associations sérieuses – quasi toutes – questionnent le candidat adoptant, vérifient autant que possible son sérieux et l’adéquation entre son contexte de vie et les besoins de l’animal qu’il souhaite adopter. Elles prodiguent des conseils et un accompagnement. Certaines refusent même de signer le contrat d’adoption le jour-même, afin de ménager de facto un délai de réflexion à l’adoptant. D’autres poussent plus loin en ne publiant pas d’annonces pour les bébés (chatons, chiots…) sur leurs réseaux sociaux : ce sont en effet ces mini-bouts qui font l’objet de la majorité des demandes impulsives.

L’achat en animalerie

En magasin, nous sommes dans un autre monde. Quel parent n’a pas vécu cette situation : vous vous rendez dans une jardinerie en quête d’un nouveau râteau. Disposées très à-propos sur le chemin vers les caisses, se trouvent les cages avec les lapinous-trop-choux, les gerbilles-si-jolies, les petits chons-tout-mignons. Et c’est alors qu’une petite voix s’écrie : « Oh maman, regarde ! Celui-là il est trop beau. On le prend, dis ? Alleeeez, dis oui… Silteuplaaaît ! ». Et soyons de bonne guerre : nous aussi, adultes, nous laissons attendrir par ces petites boules de poils (ou de plumes, d’écailles) qui nous font les yeux doux (du moins s’en persuade-t-on).

Voilà où se trouve l’achat impulsif. Pas en refuge !

Sans jeter l’opprobre sur toute une profession en prétendant que tous ces commerçants n’ont pour seul but que de vendre l’animal, coûte que coûte, en se moquant de son sort futur, quel magasin vous répondra néanmoins : « Attendez une semaine et si vous êtes toujours décidé, revenez. » ? Aucun.

C’est dans ce cas que le délai d’obtention de l’attestation prend son sens. Mais sans doute aurait-il fallu distinguer refuge et animalerie dans le décret. Ou peut-être serait-il pertinent d’interdire tout bonnement la vente d’êtres vivants dans un magasin, entre une paire de bottes et un pot de fleur ?!!

Le décret risque surtout de décourager les adoptions en refuge

On le sait tous : les annonces d’animaux à donner pullulent sur les sites et réseaux sociaux. En Belgique, de telles annonces sont à présent illégales [2], mais on les trouve par milliers !

Plus on compliquera l’adoption en refuge, plus on y mettra des freins. Et plus on encouragera ces dons d’animaux entre particuliers ! C’est clair et net. Et – concernant les chats, qui sont tout de même au cœur de ce blog – plus on contribuera ainsi à perpétuer la misère d’une surpopulation féline déjà hors de contrôle !

Madame la ministre… cible manquée.

« On y travaille »… ben tiens !

Dès l’annonce de la mesure sur Facebook, la ministre avait été interpellée en commentaire. L’interlocuteur soulevait qu’il serait plutôt bon de contrôler les dons de chatons gratuits en priorité. La réponse fut (en substance, je ne l’ai pas retrouvée) : « Ça aussi, on y travaille. ».

Mais quel leurre ! Si on réfléchit 2 minutes à la faisabilité de cette surveillance, on se rend vite compte qu’elle est à peu près impossible.

D’une part, la Belgique ne se donne déjà pas les moyens de traquer la vraie cybercriminalité. Ni la fraude fiscale. L’administration du bien-être animal est déjà largement démunie à répondre aux réelles suspicions de maltraitance, à tel point qu’elle a récemment rejeté un bonne partie du travail sur les bourgmestres. Alors comment croire qu’elle pourrait se doter des ressources humaines nécessaires pour contrôler la publication d’annonces partout sur le web, identifier les contrevenants, trouver leurs coordonnées… Trop tard, tous les bébés sont déjà donnés.

D’autre part, Internet n’a pas de frontière. L’interdiction vaut pour la Belgique mais pas pour les pays voisins. Si un groupe Facebook est clairement identifié « Animaux à donner en Belgique », il est possible de le faire fermer (bonne chance quand même dans les échanges avec l’entreprise Facebook) mais s’il n’y a pas d’indication de localisation, le groupe n’a rien d’illégal et ça devient compliqué et chronophage de lire les annonces une à une en quête d’un annonceur belge.

Enfin, que dire des possibilités de suivi des groupes fermés, des groupes de villages, des donneries de seconde main, des sites de petites annonces… où des animaux sont échangés entre une vieille brouette, une table abîmée et une poussette pour bébé ?

L’intention ne résiste pas à l’analyse. La mission est quasi impossible et la ministre ne peut l’ignorer.

Désaccord entre refuges

Revenons à notre permis de détention… Il est curieux de voir que cette mesure divise le milieu des refuges.


[2A noter qu’une loi – que la majorité des gens ignorent encore, d’ailleurs – n’a jamais suffi à elle seule à changer les comportements. A quand une campagne didactique et massive pour sensibiliser à la nécessité de la stérilisation ? En l’espèce, ce ne sont pas les vecteurs de communication gratuits qui manquent !